Des effets des outils sur nos pratiques - pourquoi les médecins détestent-ils leurs ordinateurs ? — 2019-01-31

Pourquoi les médecins détestent-ils leurs ordinateurs ?

Il est difficile de décrire les effets qu’ont nos outils informatiques sur nos pratiques, professionnelles et personnelles, sans se contenter de généralités ni céder aux raccourcis faciles. Pour ce faire, il faut des récits précis, des relevés sensibles, informés par des connaissances solides du terrain décrit et une capacité à élargir la réflexion. C’est ce que fait brillamment le chirurgien et journaliste Atul Gawande dans une longue et passionnante enquête, parue en novembre dans le magazine américain The New Yorker.

… En 2015, l’hôpital où il travaille décide de changer de système informatique pour passer à EPIC, un des leaders du marché (les données de santé de plus de la moitié des Américains figurent aujourd’hui dans son système). Contrairement à l’ancien système, EPIC propose une interface unique pour « presque tous les besoins des professionnels de santé » : il permet d’enregistrer les observations des médecins, d’envoyer les ordonnances à la pharmacie, de prescrire les examens et les scanners, d’examiner les résultats, de prévoir une opération, d’envoyer les factures aux assurances… Tout est dématérialisé : « nous allions ainsi devenir plus rapides, plus écolos, meilleurs en un mot ».

Trois ans plus tard, il fait un constat désenchanté : « La technologie qui promettait de me donner davantage de contrôle sur mon travail a, en réalité, donné à mon travail plus d’emprise sur moi. »

… Mais comment réconcilier les bénéfices réels du logiciel sur la santé et les patients et son impact destructeur sur le travail des médecins ?
Gawande voit entre ces deux logiques une contradiction essentielle : « La médecine est un système adaptatif complexe : elle est un agencement d’éléments multiples et interconnectés, et elle est censée évoluer dans le temps, à mesure que l’environnement change. Ce n’est pas le cas d’un logiciel. Un logiciel est complexe, mais il ne s’adapte pas. Et c’est bien le cœur du problème pour ses utilisateurs : nous, les humains. »

Il rejoint ici un argument central de la critique de la technique : le fait qu’elle ignore ou écrase la complexité, la fluidité et la mobilité des pratiques humaines. Le logiciel, écrit Gawande, est efficace en sélectionnant : les fonctions qui marchent, les tâches autorisées. L’homme, lui, est efficace parce qu’il s’adapte, et qu’il mute.

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