Le prix exorbitant de certains traitements menace l’universalité de notre modèle de santé — 2018-11-23b

Le prix exorbitant de certains traitements menace l’universalité de notre modèle de santé

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C’est ce qui ressort de l’analyse du coût des médicaments pour notre système de sécurité sociale. Pour la deuxième année consécutive, Basta ! s’est plongé dans les médicaments remboursés par l’assurance maladie, en analysant plus de 25 milliards d’euros de dépenses de médicaments en 2017 (1). Ces traitements sont vendus dans les pharmacies dites de ville (environ 18 milliards d’euros) et par les hôpitaux à des patients non-hospitalisés (environ 2,8 milliards d’euros) (2). Nous avons aussi compulsé les dépenses de la liste dite « en sus » (3,5 milliards d’euros), qui comprend les « molécules onéreuses » utilisées dans les hôpitaux (3).

Premier enseignement : les dépenses de médicaments remboursés par la sécurité sociale ont largement cru au cours des 15 dernières années. Pour les médicaments vendus en pharmacie, les remboursements de la Sécurité sociale ont augmenté de 74 % entre 2001 et 2017 (de 10,8 milliards à 18,8 milliards en 2017), malgré une forte baisse des remboursements entre 2014 (20,188 milliards d'euros) et 2016 (18,789 milliards d'euros) qui suivait une très forte hausse en 2012 (20,4 milliards d'euros) par rapport à 2011 (15,4 milliards d'euros). Les médicaments distribués par les hôpitaux à des patients non-hospitalisés ont cru de 112 % entre 2010 et 2017. Et ceux de la liste « en sus », dont la majorité servent à lutter contre le cancer, ont bondi de 219 % entre 2005 et 2017 ! La totalité de ces traitements remboursés a quasiment cru de 29 % entre 2010 et 2017, les huit années pour lesquelles nous avons accès aux trois bases de données.

A eux seuls, trois médicaments coûtent 1,161 milliards d’euros en 2017. Comme en 2016, le Humira, du laboratoire étasunien Abbvie, est le champion des médicaments les plus onéreux (487 millions d’euros en 2017). Cet immunosuppresseur est utilisé comme traitement contre la polyarthrite rhumatoïde et la maladie de Crohn. Coût d’une injection : entre 187 et 677 euros. Le Lucentis, du laboratoire Novartis, garde la deuxième position (359 millions d’euros en 2017). Il est prescrit contre la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Une injection revient à 737 euros (5). Enfin, l’Opdivo, de Bristol-Meyers, fait son apparition dans le top 10 (314 millions d’euros) et détrône l’Avastin en tête des molécules onéreuses, un an seulement après son arrivée sur le marché. A 413 euros la perfusion, cet anti-cancéreux qui stimule le système immunitaire du patient,est l’exemple type de ces nouveaux traitements qui accroissent la menace sur le financement de notre système de santé.

Sans juger de l’efficacité de ces traitements, qui apportent parfois de réelles avancées thérapeutiques, ces prix sont-ils justes ? Il est rare de pouvoir obtenir des informations sur les coûts de développement et de production d’un médicament. D’après Médecins du Monde, un traitement de Sovaldi (en 66e position en 2017) pour une personne coûterait entre 75 et 90 euros. Le Sovaldi, qui fut pendant plusieurs années le produit phare contre l’hépatite C, est aujourd’hui vendu et remboursé plus de 20 000 euros en France ! Certes, ce coût de production n’inclut pas les investissements initiaux de la firme, Gilead, pour acquérir la formule du Sovaldi en rachetant l’entreprise Pharmaset, au moins 11 milliards d’euros, en 2011. Mais entre 2014 et 2016, Gilead a réalisé 43,7 milliards d’euros de profits nets ! De quoi rembourser aisément cet investissement initial. La compagnie étasunienne a depuis développé deux autres médicaments contre l’hépatite C, le Harvoni et l’Epclusa, qui atteignent la 9e et la 16e places de notre classement.

Le prix officiel et public de ces traitements n’a donc pas encore été négocié avec l’administration française. C’est bien là que les inquiétudes se concentrent. Aux États-Unis, un traitement de Kymriah contre les leucémies aiguës des enfants est facturé 475 000 dollars ! Le système de solidarité français pourra-t-il survivre à ces montants exorbitants ? La tendance générale est à l’arrivée de médicaments présentés comme étant de plus en plus efficaces, mais aussi de plus en plus chers. Une tendance que relève la Cour des comptes en novembre 2017 (9) et le Conseil économique, sociale et environnemental (Cese). « Le coût moyen des thérapies ciblées contre le cancer se situe autour de 50 000 euros par an et par patient.e, soit 5 à 10 fois plus que les chimiothérapies classiques », écrit le Cese qui ajoute : « Certains traitements connaissent des hausses de prix spectaculaires et injustifiées. » En juin dernier, un collectif d’associations a publié un livre blanc sur ce sujet.

Pour justifier ces prix exorbitants, l’industrie pharmaceutique met en avant les économies que les sociétés pourraient effectuer grâce à leurs nouveaux traitements, en réduisant la durée d’hospitalisation. C’est l’argument fort développé à propos des traitements contre l’hépatite C, à plus de 20 000 euros par patient, mais censés guérir définitivement les patients. Les laboratoires pharmaceutiques avancent désormais une nouvelle notion pour évaluer le prix d’un médicament : le paiement à la performance (« value based pricing » en anglais). Si le traitement fonctionne, les autorités le paient. Sinon, il reste à la charge du laboratoire. « Mais comment évaluer cette efficacité ? Selon quels critères et à quelle période ?, s’interroge Pierre-André Juven, sociologue au CNRS. Un patient peut être en meilleure forme un mois après le début du traitement, et rechuter quelques semaines plus tard. »

Lu sur Basta ! : Le prix exorbitant de certains traitements menace l’universalité de notre modèle de santé